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Plume et Kalam - Abdelkarim Belkassem
27 juillet 2023

La ponctuation imprimée

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La ponctuation telle qu’on la connaît de nos jours est aux normes. On la doit à l’imprimerie qui, en standardisant et en mécanisant l’écriture, a commencé à imposer des règles précises.
Le point classique apparaît, le point à queue devient la virgule, et le point admiratif évolue..

Depuis le Moyen Âge, la ponctuation est une affaire de goûts personnels des moines copistes. Si certaines marques de ponctuation subsistent, d’autres  se retrouvent dans quelques rares manuscrits, avec le point, la barre oblique (l’ancêtre de la virgule), le point barré ou un losange en quatre points.

Au XVe,  l’invention de Gutenberg bouleverse cette liberté de la ponctuation. La typographie moderne nécessite de créer en amont des caractères en plomb et en étain qui permettront d’imprimer des ouvrages.
Pour faciliter la production de livres, le moulage des caractères de caisse doit être réfléchi en amont.

La réflexion autour de la ponctuation qui émaille au début de la Renaissance ne doit ainsi rien au hasard.  Le deuxième livre imprimé en France, en 1471, contient un petit traité sur la ponctuation. C'est lié à la Renaissance, à la régularisation des pratiques moyenâgeuses anarchiques et à la restauration de l'Antiquité, la remise en l'ordre.

En 1471 le Compendiosus de arte punctandi dialogus, rédigé par le philosophe et fondateur de l’atelier d’imprimerie de la Sorbonne, Jean Heynlin, paraît. Les premiers imprimeurs français souhaitent rétablir la clarté de l’expression écrite.
Le  traité est très court, un dialogue entre un maître et un apprenti. Celui-ci demande où mettre le point, la barre oblique, etc. "Tu mets le point quand le sens est complet et que tu dois marquer une longue pause."

Dans le Compendiosus de arte punctandi dialogus, le maître présente  la virgula (petite barre oblique située en bas d’une ligne), le comma (un point avec une petite barre oblique au-dessus), le colon (un point tout simple) et le periodus (un point avec une barre oblique ou une virgule au-dessous). Egalement le punctus interrogativus (point surmonté d’une virgule renversée) et les parenthesis (parenthèses rondes).

Des caractères de caisse d'une imprimerie antique.
Des caractères de caisse d'une imprimerie antique. 
© Getty - Christopher Kimmel

Malgré les réimpressions de ce court traité, la ponctuation échoue pourtant à parsemer les livres nouvellement imprimés. Entre 1450 et 1500, les premiers imprimés, qu’on appelle incunables tentent encore d’imiter les précédents manuscrits écrits à la main et présentent une ponctuation très faible. 

A ces vieilles habitudes des imprimeurs s’ajoutent un souci d’ordre matériel . Si un caractère devient introuvable, l’imprimeur abandonne l’idée de ponctuer le texte. Le scribe faisait ce qu’il voulait. 

L’essor de l’imprimerie permet à la ponctuation de trouver sa place. L’extension de la mise en page et surtout les blancs permettent  au livre de prendre à sa charge l’essentiel des grandes séparations du texte, libérant ainsi les signes. Les divisions quadrillent progressivement les textes.

Avec une division de la page plus claire, la ponctuation est donc libre. Plus besoin d’un point pour signaler la fin d’un paragraphe : un saut de ligne suffit. 
Les blancs sont partout, l'écriture continue cède  la place à des mots séparés libérés des majuscules legibiliores. 
Depuis le Moyen Âge, il est fréquent d’ajouter une majuscule à un mot, en plein milieu d’une phrase, pour marquer son intensité.
La majuscule est compliquée et éjà très présente et elle peut ponctuer à elle toute seule. Un double système entre le signe de ponctuation type virgule et la majuscule. La majuscule va ponctuer même derrière un autre signe que le point ! Elle crée des systèmes de renforcement du signe : une virgule suivie d’une majuscule, par exemple, équivaut plus ou moins au point-virgule de la tradition grammaticale. Et cette idée de la majuscule derrière un signe intermédiaire va durer très longtemps.
Benjamin Constant, au début du XIXe utilisera encore systématiquement la différence point-majuscule, virgule-majuscule. Pour lui, il y a deux ponctuations différentes. 

A mesure que l’imprimerie impose ses règles, la ponctuation de mots (c'est-à-dire la ponctuation associée non pas à un bloc de texte, mais à un mot en particulier, comme une majuscule peut indiquer un nom propre par exemple) s'estompe. Le Compendiosus de arte punctandi dialogus évoque ainsi des signes de ponctuations aujourd’hui disparus, comme le gemipunctus, deux points horizontaux destinés à mettre en valeur les noms de personnes ou de lieux, ou encore le semipunctus, une petite barre oblique située en haut de ligne, qui marque une coupure de mots.

La mise en page devient plus aérée et elle permet de saisir l’organisation du texte. La disparition de la ponctuation des mots, ouvre la voie à une ponctuation  plus moderne.
 Aucune norme unique ne se dégage. Il faut attendre les années 1520 pour que la ponctuation, de plus en plus codifiée, voit apparaître les symboles que nous utilisons encore de nos jours, le point d'interrogation, le point d'exclamation, le point, la virgule et puis les guillemets aussi qui mettront un peu plus longtemps à s'installer. 
Le savant humaniste et imprimeur Geoffroy Tory publie ainsi en 1527 un traité de ponctuation, Champ Fleury, dans lequel il propose onze marques distinctes. Il est le premier à suggérer de remplacer le point haut, qui nous vient de l’Antiquité, par le point classique de fin de phrase, le “.”, que l’on utilise encore de nos jours.

"Champ Fleury" de Geoffroy Tory.
"Champ Fleury" de Geoffroy Tory. - RMN

Mais le traité de ponctuation le plus connu reste sans aucun doute De la punctuation de la langue francoise de l’humaniste Etienne Dolet, publié en 1540 et qui deviendra la bible des typographes.
La ponctuation devient universelle et les noms des signes indiquent leur effet et propriété.
 Ce système simple comprend six signes, encore en usage aujourd’hui, de la virgule au point, en passant par les deux points - ou comma -, le point d’interrogation, les parenthèses ou encore le point d’exclamation, qu’on appelle alors encore “point admiratif ". 

Le code typographique proposé par Dolet ne s'imposera pas immédiatement. 
La virgule, qui était encore représentée par une sorte de barre oblique en bas de ligne, est probablement empruntée aux Italiens et devient ronde : on la nomme alors “incisum”, “point à queue”, ou encore “point crochu”.

Extrait de "La manière de bien traduire d'une langue en aultre, d'advantage de la punctuation de la langue françoyse, plus des accents d'ycelle / le tout faict par Estienne Dolet"
Extrait de "La manière de bien traduire d'une langue en aultre, d'advantage de la punctuation de la langue françoyse, plus des accents d'ycelle / le tout faict par Estienne Dolet" - Gallica - BNF

La ponctuation n’est pas fixe, évolue sans cesse. Le “deux-points” par exemple, qu’on appelait alors “comma”, n’avait ainsi pas du tout la fonction qu’il occupe aujourd’hui, et a longtemps eu la même utilité que le “point virgule” actuel. Le “point-virgule”, quant à lui, a longtemps été utilisé pour marquer un paragraphe. Avec l’avènement de l’imprimerie et des paragraphes naturellement organisés à l’aide de blancs, le point-virgule a de moins en moins d’intérêt et finit par disparaître des codes typographiques… Jusqu’à ce que le “deux-points” ne change de fonction : il devient exclusivement utilisé pour introduire une citation ou une information spécifique. Le point-virgule réapparaît alors peu à peu et reprend le rôle qui était auparavant attribué au “deux-points” : séparer deux membres de phrase grammaticalement indépendants l'un de l'autre, mais entre lesquels il existe une liaison logique.
 La ponctuation va continuer son évolution. Les guillemets seront utilisés directement dans le texte plutôt qu’en marge, comme il était de coutume de le faire

Qui doit ponctuer ?
Depuis l’Antiquité, la ponctuation a été pensée en aval de l’écrit plutôt qu’en amont. Les premiers signes de ponctuation, on l’a vu_,_ étaient bien souvent ajoutés a posteriori, par les orateurs d’un texte préparant leur lecture, plutôt que par les écrivains eux-mêmes.

Les éditeurs et imprimeurs estiment que la tâche de ponctuer leur revient : placer des points à queue, des points admiratifs ou encore des interrogants est affaire d’imprimeur ...“Seul l’imprimeur instruit et expérimenté est conséquent dans sa manière de ponctuer, et sur ce point, l’auteur doit s’en rapporter à lui [...], les typographes ponctuent généralement mieux que les auteurs”, assure l’imprimeur limousin Chapoulaud, en 1865. 
Peu d’écrivains attachent  une grande importance à la ponctuation, comme Rabelais a pu le faire. Ce dernier reprocha même à Dolet, l’imprimeur de ses textes, de les avoir “reponctués” sans lui avoir demandé son avis.

En réalité, la plupart des auteurs de l’époque se satisfont de la situation et laissent bien volontiers la tâche aux imprimeurs de s’occuper de ce travail jugé rébarbatif.  Ils se privent d’une part de leur liberté d’écrivains, tout comme, dans le passé, ils se sont dépouillés de leurs droits sur toute originalité orthographique.

Voltaire lui-même déclare à son imprimeur de se débrouiller seul avec, comme il appelle les signes de ponctuation, “ce petit peuple-là”.

Le XVIe marque un tournant. 
Pendant des siècles, la lecture silencieuse relevait de l'exception : les textes étaient pensés pour être lus à voix haute, que la lecture se fasse seul ou en public. C'est au XIXe, à mesure qu'elle se popularise, que la lecture silencieuse s’impose définitivement ,que la ponctuation va se construire. 
La mainmise des imprimeurs et éditeurs sur ce registre grandit : la ponctuation devient une affaire sérieuse, avec des règles de syntaxe fixes et la ponctuation moderne, encore en usage aujourd’hui.
Les textes d’auteurs anciens, au passage, sont d'ailleurs re-ponctués selon le bon vouloir des éditeurs... 

Lien

Abdelkarim Belkassem 

 

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Commentaires
C
Une évolution indispensable. C'est si important la ponctuation . <br /> <br /> Bises
Répondre
O
Intéressant de suivre cette évolution.
Répondre
O
Intéressant de suivre cette évolution.
Répondre
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