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Plume et Kalam - Abdelkarim Belkassem
23 juillet 2023

La ponctuation

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Au XVIIIe, la ponctuation est normée. George Sand proteste. Des poètes inventifs s'attellent de leur côté à renouveler la ponctuation : les points d'ironie, de doute ou exclarrogatif apparaissent.

Il y a le point classique, le point d’interrogation, le point d’exclamation… Mais il existe également de la ponctuation méconnue. La ponctuation non-standard propose le point d’ironie au point de dépit mêlé de tristesse, l’exclarrogatif et le point d’amour.

Ces nouveaux signes naissent au cours du XIXe grâce aux auteurs et surtout aux poètes.
Depuis l'invention de l'imprimerie par Gutenberg  la ponctuation, laissée aux moines copistes tout au long du Moyen Âge, se met aux normes et suit des règles.
C’est  le cas au XVIIIe, où grammairiens et typographes  créent la ponctuation moderne, que nous utilisons toujours.
Les éditeurs privilégient la syntaxe avec de nombreuses virgules.

De nombreux auteurs ont choisi, plus ou moins sciemment, de  laisser la tâche parfois jugée ingrate de ponctuer leurs textes, aux imprimeurs.
La romancière George Sand vient contester cet usage. [...]." La ponctuation, c’est l’intonation de la parole, traduire par des signes de la plus haute importance. [...] L’instinct de l’orateur intelligent le guide avec certitude et sans qu’il ait besoin de se reporter à aucune règle écrite."

Les imprimeurs fustigent “les ponctuations sentimentales et fantaisistes”, et jugent la discipline “trop importante pour l’abandonner aux caprices des écrivains qui, la plupart, n’y entendent pas grand-chose. On verrait de belles choses si on laissait aux auteurs la responsabilité de leur ponctuation !”

Certains écrivains et poètes s’emparent du sujet. "Au XIXe siècle, et plus particulièrement au tournant du siècle, prosateurs et poètes frayent la voie en posant la ponctuation si ce n'est au centre de leurs préoccupations, du moins comme objet digne de leurs interrogations, alors que jusque- là, ponctuation et division sont considérées comme parties négligeables.”

“Si George Sand s’insurge, c’est surtout pour insister sur le fait que les auteurs, par le biais de la ponctuation expriment une part de leur originalitéC’est ce qu’on appelle aujourd’hui la voix de l’écrivain, son rythme. Elle a essayé de défendre cette voix contre une application très stricte des règles.”

Elle ouvre la réflexion sur la place de la ponctuation dans la littérature, relayée par d’autres auteurs et poètes, dont  Apollinaire ou Mallarmé. Le premier supprime ainsi la ponctuation des poèmes d’Alcools, afin de signaler son mépris pour ces outils et laissant à la majuscule le soin de jouer le rôle de point ou, à l’inverse, usera d’une typographie excessive dans son poème intitulé Calligrammes.

"Voyage", dans "Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916)", de Guillaume Apollinaire, en 1918."Voyage", dans "Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre (1913-1916)", de Guillaume Apollinaire, en 1918. 

Mallarmé, de son côté, supprime dans Un coup de dés jamais n'abolira le hasard ,toute ponctuation, poussant à l’apogée la place du blanc en poésie. 

Mallarmé supprime toute ponctuation à l'exception du blanc, avec lequel il expérimente dans "Un coup de dés jamais n'abolira le hasard".

Baudelaire, en 1857, refusait les modifications de son éditeur, arguant de l’originalité de sa ponctuation qui “sert à noter non seulement le sens, mais la déclamation”. 
Louis Aragon, dont Strophes pour se souvenir est dénué de ponctuation, justifie simplement ce parti-pris : "J’aime les phrases qui se lisent de deux façons et sont par là riches de deux sens entre lesquels la ponctuation me forcerait à choisir.

Si les poètes jouent avec la ponctuation, voire la suppriment beaucoup d’écrivains estiment  que cette dernière est tout simplement insuffisante pour rendre compte, sur le papier, de la complexité de l’oralité.

Rien d’étonnant que de nombreux écrivains, au fil des siècles, se soient essayés à proposer de nouveaux signes de ponctuation. 

Dès 1708, le maître de langue Sieur de Grimarest, Traité du Récitatif  évoque ainsi la nécessité d’enrichir le système de ponctuation :

Il seroit à souhaiter que l’on eût encore admis dans notre Langue des Points de commandement ; d’ironie, de mépris ; d’emportement ; d’amour, & de haine ; de joie, & de douleur : la lecture en seroit beaucoup plus aisée & l'on donneroit à sa prononciation le sens qu'un Auteur auroit mis dans son ouvrage : Au lieu qu'incertain de ce qui va suivre, un Lecteur manque souvent le ton nécessaire à l'expression.

Rousseau lui-même, dans son Essai sur l’origine des langues, débuté en 1755, plaide pour un perfectionnement de la ponctuation grâce à l’ajout d’un point “vocatif”, permettant de faire la différence entre une personne que l’on nomme, et une personne que l’on interpelle.

Le point d’ironie “⸮”

Dès 1841, le lithographe belge Marcellin Jobard envisage de nombreux nouveaux signes de ponctuation émotionnels parmi lesquels les points d’ironie, d’irritation, d’indignation et d’hésitation, tous représentés par une flèche orientée dans des sens différents.
Ses propositions à l’Académie sont négligées.
Comment comprendre à coup sûr l’intention ironique dans un texte ? C’est le poète et critique d’art français Alcanter de Brahm qui, en 1899, propose enfin un point destiné à marquer l’ironie : le “⸮”, sorte de point d’interrogation inversé et à l’arrondi plus bas, marque cette forme d’humour caustique.

Paradoxalement, le but même de l’ironie étant d’être difficile à percevoir, la création d’un point spécifique en contrefait le sens et prive le lecteur du plaisir de l’interprétation. Ce qui n'empêche en rien le point d’ironie créé par Alcanter de Brahm de connaître un certain succès, au point d’être répertorié dans le Nouveau Larousse Illustré, 1897–1905.

La définition d'ironie, avec le point imaginé par Alcanter de Brahm, dans le Nouveau Larousse illustré, 1897–1905. 

En matière de création de signes de ponctuation,Hervé Bazin reste prolifique. Dans son essai Plumons l’oiseau (1966)chez Grasset,  il propose ainsi six nouveaux signes de ponctuation. Le point d’ironie y figure alors, avec une nouvelle graphie, mais Hervé Bazin ajoute également le point d’amour, le point de conviction, le point d’autorité, le point d’acclamation ou encore le point de doute, sorte de lettre d’epsilon (Ɛ) inversée surmontant un point classique.

Les points imaginés par Hervé Bazin dans "Plumons l'oiseau", en 1966.

Hervé Bazin  montre qu’il existe une grande différence entre l'oral et l'écrit. 
Il n’est pas le seul à inventer ses propres points. Queneau crée  le point d’indignation (un point d’exclamation retourné),  Michel Ohl, membre du collège de pataphysique, imagine un point d’aisance,le point de merde”.  Dans leur ouvrage L’Art de la ponctuation, Olivier Houdart et Sylvie Prioul imaginent en 2006 un “point de dépit mêlé de tristesse”, trois points alignées verticalement “ ⋮ ”.

 Si le point d’ironie est parvenu à se faire une petite place, les points de ponctuation non standardisés, non-adoubés par les imprimeurs, sont restés inconnus du grand public.

Parmi les signes  très peu d’entre eux sont disponibles dans des polices de caractères informatiques, à l’exception du point exclarrogatif “ ‽ ”, ou interrobang, qui ponctue une phrase interrogative et exclamative à la fois, et qui fut inventé en 1962 par l’Américain Martin K. Speckter dans l’espoir de donner plus d’impact à ses campagnes publicitaires.

Sur son site, l'"Indéprimeuse" propose des affiches du "Petit musée de la ponctuation sauvage", regroupant plusieurs points de ponctuation non-standard.
Sur son site, l'Indéprimeuse" propose des affiches du "Petit musée de la ponctuation sauvage", regroupant plusieurs points de ponctuation non-standard. - 

Tous ces signes de ponctuation novateurs, imaginés depuis le XIXe  ont échoué à s’imposer dans la ponctuation moderne. Chacun y va de son invention.  pour la langue et ça n'apporte pas grand-chose. 

Au XXIe siècle, la ponctuation n’a plus rien d’un enjeu entre éditeurs et auteurs, et les graphistes ou typographes designers sont libres de s’amuser avec la ponctuation . C’est d’ailleurs ce que propose le designer typographique Thierry Fetiveau, avec la police Andersen  destinée à la lecture de contes pour enfants, qu’il accompagne de 13 nouveaux signes de ponctuation.

La ponctuation de la police de caractère Andersen, imaginée par le designer typographique Thierry Fetiveau.

Il faut bien reconnaître que  les signes de ponctuation émotionnels ont échoué à s’imposer dans nos standards modernes. 

Abdelkarim Belkassem 

 

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Commentaires
T
J'avais lu cet article captivant en m'intéressant à George Sand! Merci d'en parler ici, j'aime ce genre de réflexion!<br /> <br /> Oui finalement pourquoi ne pas ajouter de petits signes révélateurs?<br /> <br /> Merci à Violette pour ce post!<br /> <br /> Bon dimanche à vous deux
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C
Etonnante réflexion sur ce qui anime les phrases. Parfois ceriaines ponctuations personnelles me manquent ...<br /> <br /> Bises
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O
Jamais je n'aurais imaginé une telle "guerre" concernant la ponctuation. Mais le "trop" est aussi pénible que le "pas assez". Je me contente de la ponctuation officielle, mais il est vrai que je ne suis ni poète ni écrivain.
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