Du courrier associatif
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Une copie intégrale :
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'écrivain précaire |
Quel constat un auteur confirmé, qui a pour métier, pour passion et pour pratique quotidienne d’écrire, peut-il faire, sinon celui d’une différence existentielle, différence abyssale entre ses éditeurs – je parle ici d’éditeurs solidement implantés dans le paysage du livre – et lui-même ? Eux, construisent au fil des ans des catalogues de titres, et de tous les droits cédés qui vont avec, se constituant un fonds sur lequel ils vont pouvoir capitaliser ; lui, en revanche, même s’il construit patiemment une œuvre, ne pourra (presque) jamais capitaliser sur elle. Son catalogue de titres sera (presque) toujours, économiquement parlant, un édifice d’une extrême fragilité. Il doit, vrai Sisyphe de l’art, toujours se remettre à l’ouvrage, sans l’espoir d’aucune quiétude matérielle. Tous les sujets du moment, qu’il s’agisse de l’Intelligence artificielle générative ou de l’explosion du marché de l’occasion, concernent ces questions de la précarisation croissante des auteurs et de l’urgence d’une rémunération « appropriée » – terme de la Directive européenne sur le droit d’auteur, transposée dans la loi française. À partir du moment où j’exerce une activité décisive dans l’économie de la création, il est légitime qu’elle soit équitablement, décemment et justement rétribuée. Si ce que j’ai créé a servi (sans que je l’autorise) à entraîner des outils d’intelligence artificielle, n’est-il pas juste et légitime que je sois dédommagé ? Si ce que j’ai créé sert (avec mon autorisation) à entraîner des outils d’intelligence artificielle, n’est-il pas juste et légitime que je sois rémunéré ? Si des plateformes de revente proposent sur la même page d’offres – et cela pratiquement dès le moment où je publie un nouveau livre – la revente de ce livre « comme neuf » à un prix sur lequel je ne touche aucun droit, n’est-il pas nécessaire que je fasse valoir l’idée qu’une œuvre de l’esprit, qu’elle soit transmise à l’intérieur d’un objet neuf ou d’un objet qui a déjà circulé (en un laps de temps dont la brièveté interroge) mérite une rétribution ? Récemment le Centre National du Livre organisait une table ronde professionnelle sur la surproduction dans l’édition. Table ronde à laquelle les auteurs – pas assez professionnels ? acteurs invisibles de l’économie du livre ? — n’étaient pas conviés. Prenant la parole, à l’instar de la fée Carabosse, j’ai indiqué que si un éditeur pouvait faire le choix – une tendance lourde, ces dernières décennies – de sur-publier, c’est-à-dire de publier plus de titres mais à des tirages moindres (avec comme conséquence, pour l’auteur, une espérance de gains diminuée), un auteur ne pouvait pas faire le choix de sur-écrire. C’était humainement impossible. Dans un système fondé sur la quantité des nouveautés et sur leur rotation ultra-rapide, l’écrivain, menacé d’étouffement, est perdant. Et perdu. Il se retrouve dans la même situation que le « personnage » joué par Woody Allen dans le dernier sketch de son film Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander : interprétant un spermatozoïde sur le point d’être expulsé et de partir à la conquête de l’ovule porteur d’avenir, il se demande avec angoisse sur quoi fonder son espoir de survie car il va devoir affronter la concurrence de ses milliers, de ses millions de « confrères ». Sans doute la panique succéderait à l’angoisse s’il prenait conscience que, désormais, il faut ajouter à la foule des spermatozoïdes naturels des bataillons de spermatozoïdes « recyclés » et des cohortes de spermatozoïdes « artificiels ». Christophe Hardy SGDL 26 février 2025
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